Nanar et Tina

UN OSCAR POUR NANAR Ces 23, 24, 25 et 26 décembre se donnaient quatre pièces de théâtre aux télévisions de service public. « Un fil à la patte » de Feydeau (Fr3), « Le mariage de Figaro » de Beaumarchais (Arte), « Oscar » adapté et joué par Bernard Tapie (A2) et » Le mariage forcé » de Molière (TV5 Monde). En quatre soirs, s’illustrait la désagrégation mentale de la bourgeoisie depuis trois siècles. Même si l’auteur du Bourgeois gentilhomme raillait déjà cette caste au pouvoir naissant dont la cupide bêtise ne tarderait pas à s’emparer du monde, Figaro fait preuve de génie pour en découdre avec l’aristocratie finissante. Ridiculisant noblesse et fortune, hostile à la domination, n’ayant pour parti que celui de l’esprit qui lui permet de bluffer les puissants de son temps, le héros de Beaumarchais est une insulte aux coquins et fripons qui usurpent sa réputation au fronton d’une gazette portant frauduleusement son nom. Un siècle plus tard, la bourgeoisie triomphante manifeste encore quelque présence d’esprit dans le théâtre illustré par Feydeau, mais plus avec assez d’éclat pour créer un type de personnage apte à demeurer dans les mémoires. Or, ne voit-on pas qu’en nos temps de décomposition intellectuelle généralisée, la race boutiquière prétend surenchérir dans l’imposture à ses escoqueries coutumières, en exhibant un Bernard Tapie dans ses vitrines culturelles ? Celui que j’avais apostrophé publiquement voici vingt ans, lors d’une émission télévisée, lui demandant la raison d’être de passages entiers tirés de La Société du spectacledans son livre intitulé Gagner, et qui ne sut pas me répondre pour la raison qu’il aurait dû consulter son nègre, le prositu sarkoziste André Bercoff, oui, ce bonimenteur forain qui prétend vous vendre de la culture comme de la chaussure, faisait l’affiche au réveillon de Noël sur la principale chaîne de télévision publique, et ne craignait pas de s’exhiber en parvenu au journal télévisé. Suprême simulacre : cet agent de marketing polyvalent chargé, sur les planches de théâtre ou plateaux de télé comme dans les officines publicitaires, non moins qu’à l’abri des regards, derrière les portes closes où se magouillent les contrats juteux, d’offrir l’illusion d’un homme total, a la rouerie d’agrémenter son personnage d’une touche plébéienne destinée à masquer l’être de classe. Bien sûr, sous l’apparence d’un dépassement des aliénations morcelant l’être en système capitaliste, c’est à sa désintégration que l’on assiste : l’acteur cabotin ridiculise l’art du théâtre, discrédite le service public, et va même jusqu’à ruiner ce qu’il pouvait rester d’honneur à la mafia.
L’auteur inconnu fut alors le seul à signaler l’importance qu’eût revêtue pour les foules un Nanar, devenu Oscar, à jamais accouplé à Tina. Il ne se trouva aucun organe de presse pour relayer ce qui, demain, fera partie d’une anthologie des aperçus de notre époque.